À quelle sauce vont être mangées les collectivités en 2026 ? C’est la question qui était dans toutes les têtes, hier, lors de la « conférence financière des territoires », organisée par le Premier ministre à l’Hôtel de Roquelaure, en présence de plusieurs ministres, des représentants des principales associations d’élus et des présidents des délégations parlementaires aux collectivités, dans un contexte budgétaire sous forte tension.
Mais la réunion a surtout accouché d’un désaccord majeur entre l’exécutif et les élus locaux, alors que l’objectif avoué du gouvernement est d’amplifier l’effort des collectivités dans le prochain budget.
Face à la situation financière « intolérable » du pays et alors que François Bayrou cherche 40 milliards d’euros d’économies pour réduire le déficit public à 4,6 % du PIB l’an prochain, la question n’est donc plus de savoir si les élus locaux devront contribuer au redressement des comptes, mais quelle sera la part supportée par les collectivités en 2026.
Des dépenses trop « élevées »
Le montant de 8 milliards d’euros a été évoqué dans la presse, sans être ni confirmé ni infirmé par le maire de Pau qui a assuré qu’« aucun chiffre n’était arrêté » à ce stade, à l’occasion du comité d’alerte sur le budget, à la mi-avril.
Comme lors de cette première opération « vérité » (ou plutôt de « communication » pour certains parlementaires ou représentants d’associations d’élus), François Bayrou a rappelé que « la situation des déficits et de la dette est impossible à éluder. On ne peut pas faire semblant », celui-ci enjoignant « à vaincre un dernier pli de la pensée », qui consisterait à dire : « C’est de la faute des collectivités » ou « c’est de la faute de l’État ».
Finalement, rien de vraiment nouveau depuis la mi-avril. Afin de justifier une nouvelle ponction sur les finances des collectivités, le gouvernement a réitéré son diagnostic (« nous dépensons trop par rapport à nos recettes » ) et repris ce qu’avait rapidement indiqué le ministre de l’Aménagement des territoires, François Rebsamen, mi-avril : la « dynamique » en matière de dépenses de fonctionnement des collectivités « reste élevée » (+ 3,9 %).
Dans un document présenté hier aux associations d’élus, l’exécutif pointe ainsi une hausse « nettement supérieure à l’inflation » – qui s’explique par « une forte croissance des frais de personnels (+ 4,4 %) et des achats et charges externes (+ 6,7 %) » – mais aussi des dépenses d’équipements « fortement dynamiques » (+ 7 %).
Résultat, « depuis 2023, en neutralisant l’emprunt, les dépenses locales ont été supérieures aux recettes », estime le gouvernement, tout en reconnaissant « l’impact des normes externes sur les dépenses des collectivités », telles que des « mesures salariales », des « mesures sur la transition écologique » et des « mesures de revalorisation de prestations sociales ».
Reste que la situation financière des collectivités, dans leur ensemble, continuerait d’être « globalement satisfaisante » avec une épargne brute « quasi stable », à l’exception des départements qui subissent « une forte dégradation ». Celle des régions étant considérée comme « fragile ».
Pour ce qui est des communes, leur situation était jugée « solide » en 2024 – bien qu’en « léger retrait par rapport à 2023 et à un meilleur niveau qu’en 2019 » – au regard de leurs épargnes brute et nette à « un niveau historiquement élevé ». Même chose pour les EPCI présentés également en bonne santé. De quoi légitimer un nouvel effort en 2026…
Un diagnostic non partagé
Mais cet état des lieux optimiste est loin d’être partagé par les premiers concernés qui ont, pour certains, déjà fait part de leur désaccord.
Dans la foulée de la conférence, l’AMF a ainsi rétorqué que « la dette des collectivités, elle, est stable depuis 30 ans à 9 % du PIB », contrairement à celle de l’État. L’association accuse l’exécutif d’avoir « exposé son analyse de la situation sans jamais remettre en question les décisions et les textes ayant conduit à accumuler 3 300 milliards d’euros de dette à l’échelle nationale ».
« Comme les précédentes réunions du « Haut conseil des finances publiques locales » en 2024 ou les « Assises des finances publiques en 2023 », cette séquence n’a pas constitué une vraie réunion de travail permettant d’identifier l’origine de la dépense locale et de négocier », a dénoncé dans un communiqué l’AMF au sortir de la réunion, alors que l’association avait boycotté le comité d’alerte.
Et celle-ci d’enfoncer le clou en reprochant au gouvernement de n’avoir jamais remis en question « la méthode adoptée depuis 15 ans qui a consisté à recentraliser les finances locales » (et qualifiée d’« échec » ) ni « toutes les dépenses que l’État a imposées aux collectivités ».
Pour sa part, Intercommunalités de France a rappelé la « grande diversité de situations locales, qui nécessite une analyse fine, loin des généralisations ». Elle a ainsi réaffirmé, dans un communiqué, « son engagement à participer à ces travaux, sous réserve qu’ils relèvent d’une réelle concertation sur des solutions concrètes et opérationnelles », et réclame « la création d’un groupe de travail dédié à l’investissement ».
Les pistes d’économies possibles
Malgré « de longues interventions » et « des échanges », rien n’a finalement « abouti », a confirmé à l’AFP André Laignel, le président du Comité des finances locales (CFL).
Le gouvernement a, toutefois, annoncé la mise en place de groupes de travail sur des thématiques « conjointement définies avec les collectivités » qui se réuniront « dans les prochains jours et jusqu’à fin juin ».
En attendant la deuxième conférence financière des territoires prévue en juillet, les échanges auront notamment pour objectif de « dégager des perspectives pluriannuelles qui répondent à la volonté des élus d’avoir une meilleure visibilité à long terme et de poursuivre les réflexions sur les modalités de la contribution des collectivités (…) qui sont à concevoir conjointement ».
Parmi les pistes d’économies envisagées, le gouvernement met en avant trois « leviers possibles à la main des collectivités » en ciblant des « mutualisations de services » entre communes et intercommunalités, les « communes nouvelles » ou encore une « maîtrise de la masse salariale à travers la gestion des prochains départs à la retraite » et « la limitation des mesures catégorielles ».
« La petite chanson qui circule, c’est que les mesures annoncées dans le précédent projet de loi de finances présenté par Michel Barnier, puis retirées, pourraient revenir [comme celle visant à] s’attaquer au fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) en réduisant par exemple le taux de TVA que les collectivités peuvent récupérer », a aussi laissé entendre ce week-end, dans Le Parisien, Stéphane Delautrette, président de la Délégation aux collectivités territoriales de l’Assemblée nationale et présent hier.
De son côté, l’État pourrait consentir à des « simplifications », mettre en place un « moratoire sur l’édiction de nouvelles normes » ou évaluer « les modalités d’évolution des dépenses de solidarité nouvelles ».
Un point sur lequel l’AMF insiste puisqu’elle dit attendre « de vrais engagements pour limiter les sources principales de la dépense sur lesquelles l’exécutif et le Parlement portent une responsabilité majeure : les normes, les procédures innombrables, et les politiques publiques traduites dans de grandes lois ou programmes […] dont ni le coût pour les collectivités, ni les modalités de financement ne sont jamais pris en compte, ni même évalués ».
L’association réclame notamment « un engagement de l’État sur la durée en matière de recettes locales, pour que les collectivités ne découvrent pas chaque année un montant différent de dotation ou des mécanismes nouveaux de prélèvement comme le fonds de réserve ou le Dilico ». Intercommunalités de France a, elle, une nouvelle fois, demandé de « mettre fin, en 2026, à l’écrêtement de la dynamique de TVA, afin que les intercommunalités puissent bénéficier pleinement de cette ressource essentielle à leur action ». Villes de France a, elle, appelé le gouvernement à « faire preuve de discernement dans les restrictions budgétaires à venir ».
Alors que François Bayrou s’y est opposé, l’idée formulée par François Rebsamen d’une « contribution locale » n’est pas signalée dans le document de présentation du gouvernement. Une mesure qui ne « peut arriver que s’il y a une baisse des impôts nationaux », a indiqué ce matin sur BFM le président l’AMF, David Lisnard, en dénonçant les injonctions contradictoires de l’État qui demande à la fois aux collectivités de réduire leurs dépenses, tout en leur imposant sans cesse de nouvelles obligations.
SOURCE : MAIREinfo – Édition du mercredi 7 mai 2025