Certains maires n’ont pas attendu la circulaire de la secrétaire générale du gouvernement, Claire Landais : dès lundi, à l’annonce de la mort du pape, le maire de Nice par exemple, Christian Estrosi, a mis en berne les drapeaux de l’hôtel de ville de sa commune, « en hommage à Sa Sainteté le pape dont le décès touche des milliers de fidèles à travers le monde ».
Mais c’est hier, après l’annonce de la date officielle des obsèques de François, que le secrétariat général du gouvernement a envoyé une circulaire aux ministres – circulaire transmise aussitôt aux maires – pour les avertir que les drapeaux des bâtiments publics devaient être mis en berne samedi.
« Tradition républicaine »
Cette décision n’a rien d’exceptionnel – y compris pour la mort d’un souverain pontife : cela avait déjà été le cas pour la mort de Jean XXIII, Paul VI et Jean-Paul II en 2005. Une décision similaire avait été prise pour la mort de plusieurs chefs d’État ces dernières années, comme Ronald Reagan, Nelson Mandela ou la reine d’Angleterre, en 2022.
Rappelons qu’une telle décision ne relève d’aucune obligation légale ou réglementaire. La seule obligation, en la matière, est de mettre les drapeaux en berne à l’occasion du décès d’un président de la République française.
Mais si la mise en berne des drapeaux de la République à l’occasion de la mort d’un chef d’État étranger ne fait, en général, pas polémique, il n’en va pas de même lorsqu’il s’agit d’un dignitaire religieux – certains, et pas seulement à gauche, estimant qu’il s’agit d’une atteinte au principe de laïcité. Une telle polémique avait d’ailleurs déjà eu lieu à l’occasion du décès de la reine d’Angleterre – certains élus estimant que la République ne devait pas rendre les honneurs à Élizabeth II, en tant que reine comme en tant que cheffe de l’Église anglicane.
Au moment de la mort de Jean-Paul II, en 2005, de nombreux élus et parlementaires de gauche s’étaient élevés contre la mise en berne des drapeaux, voire avaient appelé à ne pas la respecter – ce fut le cas notamment du député Arnaud Montebourg et du fervent « laïcard » Michel Charasse, sénateur-maire de Puy-Guillaume et longtemps trésorier de l’AMF. Plus ironique, vu d’aujourd’hui, l’un des maires qui s’éleva alors contre cette décision fut celui de Pau, un certain François Bayrou, pourtant président d’une formation héritière de la démocratie chrétienne : en 2005, François Bayrou expliquait qu’il n’aurait « certainement pas » décidé de mettre les drapeaux en berne, cela ne « correspondant pas à la distinction qu’il faut faire entre convictions spirituelles et choix politiques nationaux ».
Le Premier ministre de l’époque, Dominique de Villepin, avait répondu aux critiques en indiquant, d’une part, que cela s’était fait « pour tous les papes sous la Ve République comme sous la IVe et la IIIe » et qu’il s’agit d’une « tradition républicaine », mais en rappelant surtout que le pape n’est pas seulement un dignitaire religieux mais aussi « un chef d’État » (celui du Vatican), et qu’il est de mise de saluer ainsi la mort de « chefs d’État en fonction avec qui la France entretient des relations privilégiées ».
Désaccord à gauche
Hier et ce matin, la décision du gouvernement n’a pas manqué de susciter les mêmes commentaires du côté du PS, du PCF et de LFI. Certains estiment, par exemple, que cette décision a été prise pour le pape mais ne l’aurait pas été pour des religieux d’autres confessions – musulmane, juive ou bouddhiste. C’est le cas du député de la Seine-Saint-Denis Alexis Corbière, qui a déclaré ce matin qu’ « aucun culte ne doit être traité différemment des autres » et voit dans cette décision une atteinte à « un principe laïc fondamental ». Plus violent, le sénateur communiste des Hauts-de-Seine Pierre Ouzoulias a dénoncé une décision « honteuse » prise vis-à-vis d’un « monarque de droit divin homophobe et anti-IVG ». Pierre Ouzoulias, comme d’autres voix qui se sont exprimées depuis lundi, a également rappelé que le pape François avait déclaré quelques jours après le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo que l’ « on ne peut provoquer, on ne peut insulter la foi des autres, on ne peut pas la tourner en dérision ».
Plus généralement, on peut également être surpris des termes utilisés par le président de la République lui-même lors de son message de condoléances adressé aux catholiques lundi, depuis Mayotte : Emmanuel Macron utilisait alors l’expression de « très saint père » pour qualifier le pape, ce qui semble, pour le moins, assez peu neutre.
Signalons que ce débat n’est pas que politique : certains constitutionnalistes émettent des doutes sur les arguments mis en avant par les gouvernements, comme ceux de Dominique de Villepin qui bottait en touche, en 2005, au moment de la mort de Jean-Paul II, en expliquant que le pape est d’abord un « chef d’État ». Ainsi la constitutionnaliste Géraldine Chavrier jugeait-elle en 2022 cet argument « spécieux », dans la revue juridique Ajda, rappelant que « tous les chefs d’État des pays amis de la France ne bénéficient pas de cet heureux traitement ». Il s’agit donc avant tout « d’un choix politique ».
Quoi qu’il en soit, comme l’avait rappelé en 2022 l’ancien délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, le préfet Gilles Clavreul, à l’occasion de la mort de la reine d’Angleterre, les maires devront se conformer à la demande du gouvernement : « En tant qu’élus, les maires disent et font ce qu’ils veulent, dans le respect de la loi. Mais en tant qu’agents de l’État, ils sont tenus d’exécuter les instructions qu’ils reçoivent de celui-ci. La mise en berne n’est pas à leur discrétion. »
SOURCE : MAIREinfo – Édition du mercredi 23 avril 2025