C’était un véritable casus belli pour le Sénat : c’est contre l’avis formel des sénateurs que le gouvernement est allé jusqu’au bout de la procédure parlementaire sur la proposition de loi « visant à réformer le mode d’élection des membres du Conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille » . Conformément aux règles constitutionnelles régissant le fonctionnement du Parlement, l’opposition farouche du Sénat à ce texte a été balayée en donnant, en dernière lecture, le dernier mot à l’Assemblée nationale, où une majorité hétéroclite (Ensemble pour la République, LFI et RN) a permis l’adoption de ce texte.
Aussitôt après son adoption, le texte a été déféré devant le Conseil constitutionnel par ses opposants, avec plusieurs saisines très argumentées.
Une réforme contestée par le Sénat
Pour mémoire, ce texte instaure un double scrutin le jour des élections municipales dans les trois grandes villes de France. Jusqu’à présent, les élections avaient lieu par arrondissement : les électeurs élisaient uniquement des conseils d’arrondissement, présidés par des maires d’arrondissement. Certains membres de ces conseils d’arrondissement composaient ensuite le conseil municipal « central » de la commune, chargé d’élire le maire.
Avec ce nouveau texte, les électeurs de Paris, Lyon et Marseille procéderont, le même jour, à deux élections distinctes : celle des conseils d’arrondissement, comme auparavant. Mais également celle du conseil municipal central, qui sera désormais élu au suffrage direct. Répétons-le : contrairement à ce qu’a encore affirmé avec aplomb le Premier ministre, François Bayrou, lors de sa conférence de presse du 25 août, cette réforme ne permettra pas aux habitants de ces trois villes « d’élire directement leur maire » . Pas plus que dans les autres communes de France du reste : c’est le conseil municipal qui élit le maire, et non les électeurs.
Reste que cette réforme – sur laquelle l’AMF a émis des réserves – va poser un certain nombre de problèmes, notamment du fait du surcoût et des difficultés d’organisation pour les communes puisqu’il faudra organiser deux scrutins au lieu d’un seul – voire, à Lyon, trois scrutins, les élections du conseil de la métropole ayant lieu à la même date.
Par ailleurs, la loi change les règles sur la « prime majoritaire » : alors que, dans les autres communes du pays, la liste arrivée en tête obtient automatiquement 50 % des sièges – le reste des sièges étant répartie proportionnellement entre toutes les listes, y compris la liste qui a remporté l’élection –, cette prime ne sera que de 25 % dans les trois grandes villes. Ce qui, pour l’AMF, risque de fragiliser la stabilité des conseils municipaux en empêchant peut-être l’émergence d’une majorité claire ; et ce qui, pour les opposants à ce texte, constituerait une « rupture d’égalité » entre ces trois villes et les autres communes du pays.
Pas de charge supplémentaire
Les Sages n’ont retenu aucun des arguments mis en avant par les opposants à ce texte, dans la décision qu’ils ont rendue le 7 août.
De toutes les réponses fournies par le Conseil constitutionnel, les plus surprenantes concernent le coût de ce nouveau dispositif. En effet, les opposants arguaient que ce texte contrevenaient à l’article 40 de la Constitution, qui interdit qu’une proposition de loi « crée ou aggrave une charge publique ». Pour eux, cette loi, dans la mesure où elle dédouble le scrutin, augmente le nombre de conseillers et conduira à un accroissement des frais de remboursement aux candidats, crée bien une charge supplémentaire pour les finances des collectivités comme de l’État.
Pas d’accord, ont répondu les Sages : puisque les deux scrutins « se tiennent le même jour, dans les mêmes locaux, avec le concours du même personnel », l’augmentation des dépenses qui pourrait en résulter sera minime, et en tout cas « pas de nature à excéder la charge de gestion ».
Par ailleurs, poursuivent-ils, la loi n’augmente pas le nombre de membres des conseils municipaux centraux, donc n’aura pas pour effet d’augmenter les dépenses liées à leurs indemnités. Certes… mais ce n’était pas l’argument des requérants ! La question soulevée était que les nouvelles règles n’imposent plus aux membres du conseil municipal d’être également membres d’un conseil d’arrondissement, puisqu’il s’agira de deux listes distinctes, élues séparément. Selon les sénateurs, il pourrait y avoir jusqu’à 350 élus supplémentaires du fait de cette réforme. À cela, les Sages n’ont pas répondu.
Pas de rupture d’égalité
Plus attendus sont les arguments répondant aux parlementaires qui estimaient que cette loi était attentatoire au principe de libre administration des collectivités territoriales parce qu’elle créerait « au sein d’une même collectivité territoriales deux niveaux d’assemblée élue au suffrage universel » (les conseils d’arrondissement et les conseils municipaux).
Les Sages n’y voient pas de problème : ils rappellent que les conseils d’arrondissement, qui n’ont « ni personnalité morale ni patrimoine propre », ne sont pas des collectivités territoriales. La nouvelle loi ne modifie pas « la répartition des compétences dévolues » aux conseils municipaux et aux conseils d’arrondissement, pas plus qu’elle ne permet à ces derniers « d’empiéter sur les compétences » des conseils municipaux.
Le Conseil constitutionnel n’a pas non plus retenu l’argument d’une « rupture du principe d’égalité » sur le fait d’accorder une prime majoritaire de 25 % au lieu de 50 % à la liste qui a remporté le scrutin. Les Sages rappellent d’abord que cette décision a été prise dans le but d’« améliorer la représentation des diverses sensibilités politiques au sein des assemblées délibérantes de ces villes », ce qui répond à l’objectif constitutionnel de « favoriser le pluralisme des courants de pensées et d’opinions ». Appliquer un régime différent à Paris, Lyon et Marseille se justifie, aux yeux des Sages, par le fait que ces villes ont à la fois un plus grand nombre d’habitants que les autres communes et « un nombre plus important de membres » dans leurs conseils municipaux (rappelons que le Conseil de Paris compte 163 sièges). La différence de traitement « est donc fondée par une différence de situation » , ce que la Constitution n’interdit nullement.
Aucun autre argument des parlementaires qui ont saisi le Conseil constitutionnel n’a été retenu par les Sages, qui ont donc déclaré l’ensemble du texte conforme à la Constitution.
C’est ce qui a permis, le 11 août, la promulgation de la loi sans aucune modification par rapport au texte adopté par le Parlement. Elle s’appliquera donc dès les prochaines élections municipales, les 15 et 22 mars prochain.
Les électeurs devront donc élire à Paris 163 membres du conseil municipal central et 503 conseillers d’arrondissement ; à Lyon, 73 conseillers municipaux et 221 conseillers d’arrondissement ; et à Marseille, 101 conseillers municipaux et 303 conseillers d’arrondissement.
SOURCE : MAIREinfo – Édition du jeudi 4 septembre 2025