Dans un communiqué publié hier, la Ville de Paris fait le point sur la question des frais de représentation de la maire de la ville, pour répondre « en toute transparence » à la polémique déclenchée notamment par le journal Médiapart. Elle révèle qu’Anne Hidalgo bénéficie, par délibération du Conseil de Paris, de frais de représentations plafonnés à 19 720 euros par an. L’utilisation de cette indemnité, également publiée dans ce communiqué, est restée systématiquement en dessous de ce plafond durant tout le mandat, oscillant selon les années entre 13 900 et 19 000 euros. Total : environ 84 200 sur les 5 premières années du mandat.
Si ces chiffres peuvent paraître considérables pour n’importe quel maire d’une petite commune, il n’en reste pas moins que l’octroi d’une indemnité pour frais de représentation est parfaitement légal, et son montant laissé à la libre appréciation du conseil municipal. Pour ce qui est de leur montant, la Ville de Paris appelle à les apprécier au regard du budget total de la capitale (11 milliards d’euros pas an), évidemment non comparable à celui de n’importe quelle autre commune du pays. En revanche, c’est bien l’utilisation de cette indemnité qui soulève des interrogations : comme l’a révélé la presse, une partie de ces sommes a servi à payer des vêtements de luxe ou des séances de coiffure.
Dispositions législatives peu précises
Que dit la loi ? Elle est particulièrement peu précise sur ce sujet. L’article L2123-19 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) tient en une ligne : « Le conseil municipal peut voter, sur les ressources ordinaires, des indemnités au maire pour frais de représentation. » Et c’est tout : ni plafond, ni barème, ni précisions sur le champ des dépenses que peuvent couvrir ces indemnités. Rappelons en outre que d’autres articles du CGCT permettent le vote de frais de représentations pour les présidents de métropole, de communautés urbaines et de communautés d’agglomération. Ce n’est donc possible ni pour les présidents de communautés de communes ni pour les conseillers municipaux, ni pour les présidents de conseils régionaux et départementaux.
Cet article dit clairement que le conseil municipal « peut » voter, ce qui signifie qu’il s’agit d’une possibilité et non d’un droit. Dans son guide sur le statut de l’élu, l’AMF précise : « Cette indemnité a pour objet de couvrir les dépenses supportées par le maire à l’occasion de l’exercice de ses fonctions : réceptions ou manifestations de toute nature qu’il organise ou auxquelles il participe, dans l’intérêt de la commune. Il s’agit donc de dépenses accessoires dont le montant peut varier considérablement selon les collectivités et les activités du maire. »
Cette indemnité est à distinguer d’autres frais qui peuvent être remboursés au maire – les frais liés à l’exercice d’un mandat spécial, les frais de réunion, de garde d’enfant, etc.
L’indemnité peut prendre plusieurs formes : elle peut être exceptionnelle, à l’occasion d’un événement spécifique ; ou être accordée « sous forme d’une indemnité unique, fixe et annuelle », précise l’AMF. Elle ne peut, en aucun cas, excéder les frais auxquels elle doit correspondre – ce qui en ferait, dans ce cas, un traitement déguisé.
Contrôle a posteriori
Le caractère très général de cet article du CGCT a amené bien des questionnements au fil du temps, et donné lieu à d’innombrables questions ministérielles et jurisprudences. Les réponses aux questions ministérielles n’ont donné que peu de précisions, le ministère de l’Intérieur se bornant à reconnaître, par exemple, que « le versement de cette indemnité ne constituant qu’une faculté, il est difficile d’en déterminer l’usage par les conseils municipaux ».
Il revient donc, après coup, à la justice administrative de se prononcer sur ces questions, en vérifiant, d’une part, que les indemnités pour frais de représentation ne dépassent pas les frais auxquels elles correspondent et, d’autre part, que les frais en question entrent bien dans le cadre de « dépenses engagées par le maire à l’occasion de l’exercice de ses fonctions et dans l’intérêt des affaires de la commune », comme on peut le lire dans une réponse ministérielle.
Par ailleurs, les Chambres régionales des comptes (CRC) ont maintes fois eu à se prononcer sur le lien de ces dépenses avec l’exercice du mandat, ce qui donne des indications intéressantes.
Le cabinet d’avocats Seban, spécialisé en droit des collectivités locales, a épluché ces rapports des différentes CRC et en tire la conclusion, en particulier, que les frais d’habillement « ne peuvent vraisemblablement pas être pris en charge au titre des frais de représentation », ne pouvant être rattachés « à un quelconque intérêt communal ». Sauf, éventuellement, s’il s’agit d’une dépense liée à une cérémonie particulière, « exigeant par exemple une tenue de gala », comme l’avait relevé la CRC de la région Paca.
Les maires concernés ont donc intérêt à la plus grande prudence sur cette question et, en tout état de cause, ils doivent absolument conserver les justificatifs de toutes les dépenses qui justifient le versement de cette indemnité. Et ne pas oublier que ces notes de frais, factures, etc., peuvent être rendues publiques. En 2003, en effet, le Conseil d’État a définitivement tranché la question : les notes de frais d’un maire sont des documents administratifs, qui doivent donc être transmis « à toutes personnes qui en font la demande », comme le prévoit le Code des relations entre le public et l’administration.
Un « référentiel »
Pour couper court à ces polémiques récurrentes, il pourrait paraître souhaitable que les services de l’État tracent un périmètre clair de ce qui peut entrer dans le champ de cette indemnité et de ce qui ne peut pas. C’est en tout cas le point de vue de l’Observatoire de l’éthique publique qui, dans une note de 2020, critiquait un « régime peu transparent » et regrettait qu’il n’existe « aucun référentiel sur l’utilisation de cette indemnité », ce qui peut conduire « à des dérives ». « Certains élus ont une interprétation large des frais liés à l’exercice de leur mandat », pouvant aller, à l’extrême, jusqu’à l’achat de parfum ou de … chaussettes. L’Observatoire propose donc « d’établir par voie réglementaire un référentiel sur le modèle de celui établi par les assemblées parlementaires pour l’utilisation des frais de mandat des députés et sénateurs ».
L’existence d’un tel référentiel pourrait, en effet, s’avérer sécurisante pour les maires, dans la mesure où l’absence d’indication sur les frais qui entrent dans le champ de l’indemnité conduit souvent à des erreurs de bonne foi. Cette piste avait pourtant été rejetée par le gouvernement en 2016 : dans une réponse ministérielle Beauvau avait répondu sur cette éventualité : « Si un référentiel de l’utilisation de l’indemnité représentative des frais de mandat a été établi par le Sénat, ce choix n’a pas été retenu par l’Assemblée nationale au motif qu’il ne saurait être exhaustif et constituerait une entrave à l’exercice du mandat. Dans ces conditions, le gouvernement n’envisage pas d’établir par voie législative ou réglementaire une telle liste de dépenses. » Reste à savoir si cette position restera la même dans la durée, dans un moment où la demande de transparence est toujours plus forte.
SOURCE : MAIREinfo – Édition du vendredi 3 octobre 2025



