Les députés de gauche l’avaient promis dès l’adoption définitive du texte par l’Assemblée nationale, jeudi dernier : ils saisiraient le Conseil constitutionnel sur l’ensemble du texte. C’est chose faite : la saisine de 60 députés socialistes et écologistes a été déposée au greffe du Conseil constitutionnel hier. Cette saisine de 16 pages est extrêmement argumentée.
Article 40
À titre liminaire, les députés déplorent que ce texte – issu d’une proposition de loi du député Renaissance de Paris Sylvain Maillard – n’ait fait l’objet ni d’un avis du Conseil d’État ni d’une étude d’impact. Cela aurait été le cas, à titre obligatoire, si ce texte avait été un projet de loi (présenté par le gouvernement), mais pas dans le cas d’une proposition de loi. Les auteurs de la saisine rappellent toutefois que la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, avait proposé de recueillir préalablement aux débats l’avis du Conseil d’État, demande rejeté « à la demande expresse » de l’auteur du texte.
L’argument principal des députés auteurs de la saisine est que ce texte est contraire à l’article 40 de la Constitution. Cet article bien connu des parlementaires est très clair : « Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l ‘aggravation d’une charge publique. » Pour mémoire, lorsqu’un amendement est déposé sur un texte en discussion, il est avant tout examen passé au crible de cet article 40 : un amendement qui contrevient à cet article est jugé « irrecevable » et ne peut être mis en discussion.
À ce titre, jugent les auteurs de la saisine, c’est tout simplement l’examen de la proposition de loi elle-même qui aurait dû être refusé. Et ce n’est pas le plein soutien du gouvernement à ce texte – gouvernement qui a déclenché la procédure accélérée et choisi de donner le dernier mot à l’Assemblée nationale, contre l’avis formel du Sénat – qui change les choses : le soutien du gouvernement à une proposition de loi ne suffit pas à « contourner les règles constitutionnelles ».
Quelles « charges publiques » supplémentaires, non compensées par une recette nouvelle, sont créées par ce texte ? Les auteurs de la saisine en identifient plusieurs.
D’abord, l’obligation de « doubler les opérations de vote le jour du scrutin » à Paris, Lyon, et Marseille, puisque le texte impose l’élection à la fois des conseils d’arrondissement et du conseil municipal « central ». Donc, deux bureaux de vote, deux urnes, deux jeux de matériel de vote – voire trois à Lyon, où il faudra aussi élire, le même jour, les conseillers métropolitains. Et donc deux fois plus de dépenses pour les collectivités concernées.
Par ailleurs, la double élection suppose aussi un double remboursement des frais de campagne des listes ayant dépassé les 5 %, et donc une charge supplémentaire pour l’État.
Enfin, plaident les députés, la réforme aura pour conséquence d’augmenter significativement le nombre d’élus, puisque à Paris par exemple, les conseillers de Paris (conseil municipal central) « n’auront plus vocation à être systématiquement conseillers d’arrondissement ». Le Sénat a estimé le nombre d’élus supplémentaires nés de cette réforme à 347, qu’il faudra indemniser, « ce qui aura une incidence certaine sur les dépenses des trois collectivités concernées ».
Libre administration
Deuxième série d’arguments plaidée par les auteurs de la saisine : « La dualité de scrutins présente une atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales ».
Ils rappellent en effet que ce principe constitutionnel impose que « l’organisation institutionnelle permette (aux) collectivités d’exercer de manière cohérente et autonome leurs compétences ». Or le texte adopté la semaine dernière crée deux organes élus distincts, issus de deux scrutins séparés – les conseils d’arrondissement et le conseil municipal. Situation « inédite », d’après les saisissants : « Le texte découple l’élection de l’organe central de la collectivité de nouveaux organes élus au suffrage universel qui administrent une partie des compétences obligatoires de la même collectivité ». Le texte met en place un système qui peut sembler juridiquement fragile, et qui est en effet inédit : les arrondissements, qui ne sont pas des collectivités locales, « continueraient à exercer des compétences déconcentrées au nom de la commune, mais potentiellement sans qu’aucun conseiller municipal siège en leur sein ».
Par ailleurs, toujours selon ces députés, ce système instaurerait « une concurrence de désignation et de légitimité en assurant, de manière distincte et indépendante, la désignation d’une seconde assemblée élue au suffrage universel pour exercer des compétences, même réduites, de la collectivité territoriale ». Plus simplement, le texte « institue au sein d’une même collectivité territoriale deux niveaux d’assemblée élue au suffrage universel », ce qui paraît aux auteurs de la saisine parfaitement incompatible avec l’esprit de l’article 72 de la Constitution.
Laisser passer une telle exception serait, selon les députés, ouvrir la porte à ce que le législateur crée à sa guise, « à côté de l’assemblée délibérante », d’autres assemblées locales élues. Pourquoi pas dans ce cas, imaginent-ils, « des conseils d’arrondissement dans les départements, élus en même temps que les conseils départementaux, pour administrer les affaires sur une partie de leur territoire » ?
Sincérité du scrutin
Enfin, les auteurs de la saisine jugent que ce texte risque de contrevenir à l’exigence constitutionnelle de sincérité du scrutin, en introduisant « une complexité procédurale inédite dans le processus électoral ». La dualité du scrutin « multipliera mécaniquement les risques d’erreur de manipulation, de confusion entre les scrutins ». De surcroît, « la distinction, pour l’électeur, entre les compétences respectives des conseils d’arrondissement et du conseil municipal » n’étant pas « maîtrisée », le système ne peut « qu’aggraver la méconnaissance des enjeux du vote », ce qui « altèrerait » la sincérité du scrutin.
Les saisissants rappellent par ailleurs que « l’intelligibilité de la loi » est un principe fondamental maintes fois reconnu par les Sages. Or pour eux, ce texte est en l’état actuel des choses parfaitement inintelligible sur un certain nombre de points, notamment sur « l’imputation des dépenses électorales aux compte de campagne pertinent lorsqu’un candidat le sera aux deux scrutins ». En d’autres termes, lorsque le candidat engagera des dépenses de campagne, pour une réunion publique par exemple, le fera-t-il en tant que candidat au conseil municipal ou comme candidat au conseil d’arrondissement ? Ces questions vont se poser très vite, si le texte est validé, dans la mesure où le contrôle des comptes de campagne, pour les prochaines élections municipales, débute le 1er septembre prochain.
Pour finir, les auteurs de la saisine estiment que la prime majoritaire de 25 %, au lieu de 50 % dans les autres communes du pays, constitue « une rupture du principe d’égalité » des électeurs. Ce choix a en effet été fait pour « éviter un phénomène d’écrasement majoritaire de la liste arrivée en tête ». Mais pourquoi l’appliquer uniquement à Paris, Lyon et Marseille, alors que « ce risque existe pour toutes les autres grandes villes de France » ?
Il reste à savoir ce que les Sages vont penser de ces arguments. La pression politique est importante, dans la mesure où une censure de ce texte, au soutien duquel le gouvernement a mis tout son poids, apparaîtrait comme un échec majeur pour celui-ci.
Les Sages ont un mois pour rendre leur décision.
SOURCE : MAIREinfo – Édition du mercredi 16 juillet 2025




