Ce lundi 8 septembre, à 9 h du matin, le site internet de l’Assemblée nationale montre, à la page « après-midi et soirée », un agenda parfaitement vide. À quelques heures d’un vote particulièrement déterminant, pas le moindre élément sur l’organisation des débats qui suivra le discours du Premier ministre ni l’heure à laquelle aura lieu le vote de confiance. Tout au plus sait-on, par une lettre du ministre chargé des relations avec le Parlement, que la séance ouvrira à 15 heures, que la déclaration de politique générale de François Bayou sera suivie d’un débat et que le vote qui s’ensuivra aura « une durée de 30 minutes ».
Combien de temps dureront les prises de parole lors du débat ? Le règlement de l’Assemblée nationale donne une fourchette particulièrement large, allant de 5 minutes à une heure pour chacun des 11 groupes politiques de l’Assemblée nationale. Le vote final interviendra donc, selon les décisions prises par la Conférence des présidents, entre la fin d’après-midi et le début de soirée. Selon les informations qui filtrent au compte-goutte de la présidence de l’Assemblée nationale, les prises de parole pourraient, selon la taille des groupes, aller de 5 à 35 minutes. Le résultat du vote, qui aura lieu à l’urne et non au pupitre, pourrait être connu à partir de 19 heures.
Qui pour succéder à François Bayrou ?
Au-delà de ce flou organisationnel, l’issue du scrutin ne fait pas de doute. La décision « irrévocable » du Parti socialiste de voter contre la confiance et celle, similaire, du Rassemblement national, ont scellé depuis le 25 août le sort de ce gouvernement – qui sera le premier de la Ve République à chuter après s’être vu refuser la confiance, le dernier épisode similaire remontant à 1955.
Y compris au sein du « bloc central », certains députés envisagent publiquement de ne pas se rendre à l’Assemblée nationale cet après-midi – façon de tenter de ne pas couler avec le navire. Quant au groupe Les Républicains, pourtant officiellement soutien du gouvernement, il apparaît divisé : alors que le président du parti, par ailleurs ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, demande fermement qu’aucune voix LR ne manque à la confiance, le président du groupe LR à l’Assemblée, Laurent Wauquiez, a donné la « liberté de vote » à ses troupes. Il se pourrait qu’un certain nombre de députés LR, peu désireux d’apparaître comme des soutiens d’un gouvernement en perdition lorsqu’il faudra se représenter devant les électeurs, préfèrent ne pas participer au vote… voire votent contre la confiance.
Une fois le gouvernement renversé, ce soir, quelles options se présentent pour le chef de l’État ?
La première hypothèse consisterait – à rebours de ce qui s’est passé lors des précédents changement de gouvernement – à nommer un Premier ministre très rapidement, dès ce soir ou demain. L’avantage étant, à 48 heures du mouvement « Bloquons tout » du 10 septembre, de ne pas donner l’impression d’un pays bousculé par un mouvement social – qui pourrait être d’ampleur – sans capitaine au gouvernail. Et, accessoirement, de détourner la colère sociale de la seule figure du président de la République.
Mais nommer un Premier ministre ne suffit pas : il faut aussi que celui-ci propose un gouvernement, ce qui pourrait être nettement plus long. Et d’autant plus difficile, dans la période actuelle, que les candidats risquent de ne pas se bousculer pour faire partie d’un gouvernement dont la durée de vie risque fort de ne pas excéder la durée du débat sur le budget.
Reste également la question la plus importante : quel Premier ministre choisir ? À cette heure, deux hypothèses se dessinent. Ou bien le chef de l’État reconduit un Premier ministre issu du bloc central – les noms de Sébastien Lecornu, Gérald Darmanin ou Éric Lombard sont fréquemment cités. Ou bien il fait le pari de répondre aux appels du pied du Parti socialiste et il nomme Olivier Faure à Matignon. Dans les deux cas, un Premier ministre soit issu du bloc central soit issu du PS aurait le choix de composer un gouvernement issu de son seul camp, ou de l’ouvrir de façon à composer une forme de coalition. Les deux solutions présentant le même facteur d’incertitude sur l’avenir, personne, à l’Assemblée nationale, n’étant réellement prêt à faire des concessions aux autres. L’approche de nouvelles échéances électorales, qu’il s’agisse des municipales, de la présidentielle ou d’une éventuelle dissolution, fausse le jeu en poussant chaque parti à faire de savants calculs : si le PS s’allie aux macronistes pour faire passer un budget, il risque de le payer dans les urnes. Et si les LR continuent de soutenir – voire de participer – au gouvernement, ils prennent le risque de voir une partie de leur électorat continuer de les abandonner au profit du RN. Quant à LFI et au Rassemblement national, ils ont, stratégiquement, tout intérêt à rester sur une posture d’intransigeance en ne soutenant personne et en promettant de censurer tout gouvernement, quel qu’il soit.
Le blocage est total et, quelle que soit la décision que prendra Emmanuel Macron, elle ne permettra pas d’en sortir.
Dissolution à hauts risques
L’hypothèse d’une nouvelle dissolution ne démêlerait pas davantage cet inextricable écheveau. Bien que réclamée à toute force par le RN et les Insoumis, une telle décision ne ferait qu’ajouter du désordre au chaos, puisqu’il semble certain que de nouvelles élections ne permettraient pas plus que les précédentes de dégager une majorité. Et le pari serait d’autant plus risqué que les quatorze derniers mois, depuis la dissolution de 2024, ont certainement affaibli le « front républicain » qui avait permis d’empêcher l’élection de plusieurs dizaines de députés RN supplémentaires. Une dissolution risquerait donc de voir le poids du RN se renforcer à l’Assemblée nationale, dans la foulée d’un effondrement probable du « bloc central » – effondrement anticipé dans tous les sondages. C’est ce qui laisse à penser que l’hypothèse d’une dissolution est relativement peu probable, du moins dans l’immédiat : s’il dissout, le chef de l’État signe l’arrêt de mort parlementaire de son propre parti.
Emmanuel Macron, pour permettre au moins l’adoption d’un budget avant la fin de l’année, se résoudra-t-il à aller vers la constitution d’un gouvernement de « techniciens », sans étiquette politique, à l’instar de ce qui s’est fait en Italie en 2011 (gouvernement Monti) et 2021 (gouvernement Draghi) ? Cette solution, bien que réclamée par certains milieux économiques, n’a pas que des avantages, loin de là : outre qu’elle marquerait une forme de constat d’échec politique pour le chef de l’État, elle est aussi grosse de dangers pour l’avenir. L’expérience du « gouvernement technique » Draghi s’est terminée, il faut le rappeler, par la victoire de l’extrême droite aux élections de septembre 2022 et l’arrivée au pouvoir de Giorgia Meloni.
L’étape qui sera franchie ce soir avec le renversement du gouvernement Bayrou, loin de la « clarification » voulue par le Premier ministre, va ouvrir une nouvelle période d’incertitude et d’instabilité dont il est bien difficile, à cette heure, d’entrevoir l’issue.
SOURCE : MAIREinfo – Édition du lundi 8 septembre 2025