Le 9 juillet 2024, le conseil municipal de Tarascon-sur-Ariège adoptait une délibération indiquant qu’« en l’absence d’augmentation ou de prévision du point d’indice en 2024, le maire souhaite instaurer (une) prime visant à valoriser le travail des agents et à encourager leur présence régulière sur leur lieu de travail afin de contribuer ainsi à la continuité et à l’efficacité du service public ». La délibération précise que le montant de cette prime sera déterminé individuellement, en fonction du salaire moyen de chaque agent et de son taux de présentéisme.
Principe de parité
En octobre dernier, au titre du contrôle de légalité, le préfet de l’Ariège a saisi le tribunal administratif de Toulouse en lui demandant d’annuler cette délibération, estimant qu’elle est « dépourvue de base légale » et qu’elle est contraire aux règles fixées à l’article L714-4 du Code de la fonction publique. Cet article dispose en effet que « les organes délibérants des collectivités territoriales et de leurs établissements publics fixent les régimes indemnitaires de leurs agents, dans la limite de ceux dont bénéficient les différents services de l’État ». C’est ce que l’on appelle le principe de parité.
Le tribunal s’est prononcé sur cette affaire le 2 juin dernier et a donné raison au préfet.
Il rappelle, outre l’article L714-4 du Code de la fonction publique, les termes du décret n° 91-875 du 6 septembre 1991 sur les dispositions statutaires de la fonction publique territoriale : « Le régime indemnitaire fixé par les assemblées délibérantes des collectivités territoriales (…) pour les différentes catégories de fonctionnaires territoriaux ne doit pas être plus favorable que celui dont bénéficient les fonctionnaires de l’État exerçant des fonctions équivalentes. »
Le juge rappelle quelles sont les primes qui peuvent être versés aux fonctionnaires des trois fonctions publiques : d’une part, une « indemnité de fonction, de sujétions et d’expertise », et, d’autre part, « un complément indemnitaire annuel lié à l’engagement professionnel et à la manière de servir ». Même lorsqu’une collectivité institue le Rifseep (régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel), elle doit respecter cette décomposition en deux parts : une part « qui tient compte des conditions d’exercice des fonctions et la seconde de l’engagement professionnel des agents ». Les collectivités sont libres de fixer les plafonds applicables aux deux parts, mais toujours en veillant à ce qu’ils ne dépassent pas le plafond global des primes accordées aux agents de l’État.
Or la délibération qui a instauré une prime exceptionnelle à Tarascon-sur-Ariège ne peut être rattachée au Rifseep, puisqu’il n’est fait aucune référence à celui-ci dans la délibération. Par ailleurs, elle ne respecte pas, formellement, la décomposition en deux parts exigée par les textes. Cette délibération, conclut le juge, n’est donc pas conforme au principe de parité entre la fonction publique de l’État et la territoriale, et est donc illégale.
Rétroactivité
Le maire de la commune avait par ailleurs demandé, en cas de décision défavorable du tribunal, que l’application de cette décision soit « différée dans le temps ». Si le tribunal administratif décide d’annuler une décision, celle-ci est réputée n’avoir jamais existé. Autrement dit, la décision est rétroactive. Le maire a fait valoir, non sans logique, qu’en l’espèce la rétroactivité d’une telle annulation conduirait à ce que chaque agent doive rembourser la prime perçue, sans compter « la mise en œuvre d’opérations complexes pour la récupération des charges sociales et patronales ». De plus, deux agents avaient entretemps quitté leurs fonctions, et que « la récupération des trop-perçus auprès de ceux-ci se heurterait à des obstacles significatifs ». Autant d’arguments qui paraissent recevables. La loi prévoit en effet, lorsque l’effet rétroactif d’une annulation risque d’avoir des conséquences « manifestement excessive », que le juge peut déroger « à titre exceptionnel » au principe de rétroactivité des annulations contentieuses. Il peut, par exemple, décider que l’annulation prendra effet à une date ultérieure, qu’il est libre de déterminer.
Mais le juge ne l’a pas entendu de cette oreille. Il a estimé que dans ce cas, les conséquences ne pouvaient être regardées comme « manifestement excessives », la somme à recouvrir n’étant « que d’un montant de 10 645 euros ». La décision d’annuler cette délibération reste donc rétroactive, et la commune devra exiger des agents qu’ils remboursent le montant perçu dans le cadre de cette prime.
Cet épisode – et l’intransigeance du juge en la matière – doivent être connus des élus qui auraient envie de faire un geste vis-à-vis des agents, pour leur éviter de tels déboires. Les règles sont extrêmement strictes en la matière, et une fois encore la « libre administration des collectivités territoriales » a des limites parfois insoupçonnées.
SOURCE : MAIREinfo – Édition du jeudi 19 juin 2025