Liquidation, dissolution, plans de licenciement… Pas un jour ne passe sans qu’un des 92 Conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) du pays – et leur millier de salariés – ne fasse les frais des conséquences de la mauvaise mise en œuvre de la réforme de la taxe d’aménagement.
Alors qu’un premier CAUE – celui de la Manche – est déjà en cours de liquidation, c’est désormais la possible hécatombe dans les rangs de ces structures, qui accompagnent gratuitement particuliers et collectivités, qui inquiète aux quatre coins de l’Hexagone.
« Disparition amorcée »
La Fédération nationale des CAUE vient ainsi d’alerter sur leur situation « extrêmement préoccupante » et leur « disparition amorcée ». Car les dommages s’étendent à nombre d’entre eux.
Outre la mise en liquidation de la structure manchoise la semaine dernière (laissant 14 salariés sur le carreau), celle de l’Orne est à son tour menacée de dissolution, quand certaines structures se retrouvent « en cessation de paiement imminente » et plusieurs autres ont échoué à recourir à l’emprunt… faute de banques qui suivent.
Pour tenter de sauver l’essentiel, les plans de licenciement se multiplient donc avec « 77 postes » supprimés entre début 2024 et mi-2025, comme dans les CAUE de la Haute-Marne et de la Gironde qui ont été relatés dans la presse locale. Mais d’autres réductions d’effectifs sont déjà « en cours ».
Pourtant, les actions des CAUE sont précieuses puisqu’elles bénéficient aux « porteurs de projets publics comme privés, aux professionnels de l’aménagement et au public scolaire », ces organismes offrant depuis une cinquantaine d’années « un accompagnement neutre et indépendant aux territoires » sur des thématiques aussi variés que la sobriété foncière, la rénovation énergétique, la revitalisation des centres bourgs, ou encore la renaturation et les mobilités.
Dans un reportage récent de France 3 Normandie, la maire des quelque 1 500 habitants de Pirou (Manche), Noëlle Leforestier, expliquait d’ailleurs que la gratuité de leurs prestations est quelque chose de « vraiment important » pour « les petites communes ».
Plus de 1,5 milliard d’euros non collectés
Pourquoi leur situation s’est-elle ainsi brutalement dégradée, jusqu’à les menacer ? En cause, une réforme fiscale « mal calibrée », se désole la Fédération nationale. C’est presque un euphémisme lorsque l’on parle du fiasco qui entoure l’encaissement de la taxe d’aménagement par la DGFiP depuis deux ans. Une taxe qui finance à hauteur de 80 %, via une portion de la part départementale, ces structures d’ingénierie territoriale et dont le mauvais recouvrement aboutit aujourd’hui à cette « situation catastrophique ».
Les dysfonctionnements de la réforme de la taxe d’aménagement ont ainsi conduit à un « effondrement » de sa collecte avec, fin août, une chute de « 75 % » de son produit par rapport à 2023. « Plus d’1,5 milliard d’euros » n’auraient ainsi pas été collectés et reversés aux collectivités sur « la période 2024-2025 », dénonce la Fédération nationale des CAUE, qui rapporte que « seulement 200 millions d’euros » de taxe d’aménagement seraient reversés en 2025 aux départements, contre « 352 millions en 2024, année déjà très critique, et de 591 millions en 2023 » (à ce sujet, l’AMF organise d’ailleurs un webinaire avec la DGFiP ce mercredi 15 octobre, à 14 h 30, dans le but d’expliquer ces problèmes de reversement qui touchent aussi les communes et EPCI).
La situation est connue puisque le syndicat Solidaires Finances publiques a alerté en début d’année sur ce nouveau couac du fisc lié notamment aux errements du dispositif « Gérer mes biens immobiliers » (GMBI) et à des réductions d’effectifs, tout comme les députés Christine Pirès Beaune (PS) et David Amiel (Renaissance) – fraîchement nommé ministre depuis hier (lire article ci-contre) – dans un rapport sur les dysfonctionnements récents dans la collecte des impôts locaux.
Au-delà du risque de pertes sèches pour les collectivités, la députée du Puy-de-Dôme constatait déjà que « certains CAUE, confrontés à une baisse significative des recettes de cette taxe, n’ont pas reçu des départements les financements escomptés et ont déjà dû procéder à des licenciements, et d’autres pourraient bientôt suivre cette voie ». « À moins de considérer les CAUE comme inutiles – ce qui n’est absolument pas mon cas – nous ne pouvons laisser disparaître ces structures qui offrent un service gratuit et précieux aux collectivités locales », plaidait-elle.
Vers une refonte du financement et des missions ?
D’autant que « l’absence totale de visibilité » sur la durée de cette crise, « le calendrier de résorption et les montants qui seront recouvrés, ne permet pas de gérer cette crise comme une crise ponctuelle », prévient la Fédération nationale des CAUE. À terme, « elle risque de provoquer la perte définitive du niveau de service, ainsi que des savoirs et savoir-faire apportés dans les territoires par les CAUE », s’inquiète celle-ci.
« La liquidation du CAUE de la Manche n’est pas un accident, c’est le premier maillon d’une chaîne qui risque de rompre », prédit ainsi le président de la Fédération, Joël Baud-Grasset, qui rappelle qu’« une cinquantaine de questions parlementaires n’ont pas permis à ce jour d’obtenir plus de visibilité sur l’avenir de nos structures ».
Avec le président de Départements de France, François Sauvadet, ce dernier avait déjà alerté cet été, dans une tribune, sur « la mise en péril des politiques publiques locales dédiées à l’aménagement du territoire et à la préservation de l’environnement ». « Si aucune mesure corrective n’est prise d’ici à la fin de l’année 2025, les politiques publiques et structures financées par cette taxe seront fragilisées dans tous les territoires et sur le long terme », annonçaient les deux responsables.
Après une pétition et une lettre des sénateurs à Sébastien Lecornu, la fédération réclame donc deux choses pour sauver les 92 CAUE. D’abord, « la mise en place d’une mission au sein de la DGFIP pour identifier et activer les leviers d’une rapide sortie de crise ». Ensuite, « l’adoption, dans les plus brefs délais, d’une mesure exceptionnelle, dans le cadre du projet de loi de finances 2026, permettant d’activer un système d’avance financière au bénéfice des départements, afin qu’ils puissent maintenir l’existence de leur CAUE ».
Malgré le contexte d’instabilité politique du moment, le ministère de la Culture a annoncé, la semaine dernière, vouloir mettre en place un groupe de travail avec la fédération des CAUE, les ministères de l’Aménagement du territoire et des Finances. Ce groupe examinerait notamment une refonte du financement et des missions des CAUE avec une « modernisation nécessaire ».
Reconnaissant l’avenir de sa propre structure d’ores et déjà « compromis », le directeur du CAUE de la Manche, Emmanuel Fauchet, estimait encore la semaine dernière qu’« il faut qu’il y ait une prise de conscience massive pour que tous les CAUE au niveau national puissent être aidés pour poursuivre leur activité au service des collectivités. C’est encore possible pour ceux qui sont toujours en activité ».
SOURCE : MAIREinfo – Édition du lundi 13 octobre 2025




